Nouvelles invasions de centaures au musée du Louvre
Gabriel François Doyen - Une fête du dieu des jardins - vers 1750-1754 Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
La situation n'est toujours pas stabilisée au Louvre depuis le billet alarmant que nous avons publié. Si la plupart des départements ont été sécurisés, les centaures occupent toujours le Département des Arts Graphiques. Notre première équipe de reporters ayant disparus corps et biens, nous avons envoyé une autre équipe composée du binôme Pindare et Ovide, enquêter sur place
Théodore Géricault - Cinq études d'un centaure enlevant une femme (Déjanire enlevée par Nessus ?) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Cependant la nue, mère unique de son espèce, conçut, sans l'assistance des Grâces, un fruit unique aussi dans la sienne ; sa nourrice le nomma Centaure ; monstre également étranger aux formes humaines et aux attributs de la divinité, il courut dans les vallées du Pélion perpétuer sa race en s'accouplant avec les cavales de la Thessalie. C'est de cette union qu'est née la race extraordinaire des Centaures, participant à la forme de leur père et de leur mère, hommes jusqu'à la ceinture, et chevaux dans la partie inférieure du corps.
Ainsi Dieu dispose de tout à son gré : plus rapide que l'aigle qui fend les airs, que le dauphin qui fuit au milieu des ondes, il brise l'orgueil des mortels ambitieux et comble les autres d'une gloire impérissable.
Pindare - Pythiques (II,20)Antoine-Jean Gros - Centaure jouant d'un instrument de musique - vers 1793-1800 Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anthelme François Lagrenée - Hercule et un centaure Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Charles Le Brun - Etude pour un décor cintré (Centaures) - vers 1679-1684 Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Antoine Alphonse Montfort - Hercule, Les Centaures et les Lapithes (croquis) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Charles Louis Müller - L'éducation d'Achille par le centaure Chiron, dans un paysage Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Etienne I Parrocel - Jeune homme et centaure musiciens Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Etienne I Parrocel - Centaure vu de profil Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Etienne I Parrocel - Le centaure Furietti, barbu Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Etienne I Parrocel - Deux centaure jouant l'un de la double trompe, l'autre de la lyre Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Odilon Redon - Centauresse combattant un serpent Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Odilon Redon - Centaure couché à terre, les bras croisés Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Odilon Redon - Centaure enlevant une nymphe (Inspiré de Théodore Géricault) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Odilon Redon - Centaure enlevant une nymphe (Inspiré de Théodore Géricault) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Théophile Alexandre Steinlen - Centaure enlevant une femme Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Centaure enlevant une femme, avec l'Amour - fin XVIe siècle Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Enlèvement d'une Laphite par un centaure - fin du XVIIe siècle Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Achille instruit par le Centaure Chiron - Fin du XVIIIe siècle (d'après une fresque d'Herculanum ?) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Centauresse - Fin du XVIIIe siècle (d'après une fresque d'Herculanum) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Centauresse portant sur son dos une petite fille - Fin de XVIIIe siècle (d'après une fresque d'Herculanum ?) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Figure capturant un centaure - Fin du XVIIIe siècle (d'après une fresque d'Herculanum ?) Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Anonyme italien - Centaure apprenant à un jeune homme à jouer de la lyre - Fin du XVIIIe siècle Musée du Louvre, Département des Arts Graphiques, Paris |
Combats des Lapithe et des Centaures
"Le fils de l'audacieux Ixion venait d'épouser
Hippodamie. Les Centaures cruels, enfants de la Nue,
invités au festin, avaient pris place, suivant leur
rang, à la table dressée dans un antre spacieux,
environné d'arbres touffus. Les rois de Thessalie
étaient présents, et moi- même avec eux.
L'air retentissait au loin des cris confus inspirés par
la joie. On chantait l'Hyménée, et les feux
sacrés brûlaient dans le parvis.
"Hippodamie paraît, brillante de sa beauté et
de l'éclat de ses atours. Un cortège nombreux de
jeunes mères et de matrones la suit. Nous
félicitons Pirithoüs, nous célébrons
le bonheur qui l'attend; et ce doux présage semble au
moment même démenti. Le plus sauvage des sauvages
enfants de la nue, Eurytus, échauffé par le vin,
s'enflamme encore à la vue d'Hippodamie, et d'une double
ivresse éprouve les transports.
"Soudain les tables sont renversées, le
désordre est extrême. Le violent Eurytus saisit
aux cheveux la belle Hippodamie. En même temps les
Centaures enlèvent les femmes que le choix ou le hasard
fait tomber sous leurs mains. C'est le désordre d'une
ville prise d'assaut. L'antre profond retentit de cris
déchirants. Nous nous levons, et Thésée le
premier s'écrie : "Eurytus, quelle est ta fureur
insensée ! Je vis, je suis présent, et tu
oses outrager Pirithoüs ! Ne sais-tu pas que
l'offenser, c'est m'offenser moi-même !"
"Le héros n'a point ainsi parlé en vain. Il
s'élance, il écarte tout ce qui s'offre à
son passage, il arrache Hippodamie aux ravisseurs furieux.
Eurytus se tait. Et comment pourrait-il par de vains discours
justifier son crime ? Mais il lève sa main
audacieuse sur le vengeur de Pirithoüs; il le menace au
visage, et le frappe à la poitrine.
"Près de là était un vase
antique, énorme, dont diverses figures ornaient les
contours. Malgré son poids, le puissant fils
d'Égée le saisit et le lance à la
tête de son ennemi. Eurytus tombe, roule et se
débat sur l'arène, vomissant à la fois par
sa bouche, sa cervelle et des flots de sang et de vin.
Irrités du meurtre de leur frère : Aux
armes ! s'écrient les Centaures, aux armes !
Le vin échauffait leur courage. Leurs premières
armes sont les coupes fragiles et les vases du festin, qui,
destinés à de plus doux emplois, volent de toutes
parts soudainement changés en instruments de guerre et
de carnage.
"Le fils d'Ophion, Amycus, ose le premier dépouiller
l'autel domestique de ses dons. Il saisit un candélabre
où pendent plusieurs lampes allumées; il
l'élève en l'air, comme la hache des sacrifices
prête à tomber entre les cornes d'un taureau, et
frappe au front le Lapithe Céladon. Ses os brisés
s'enfoncent dans sa tête. Ses yeux sortent sanglants de
leur orbite; son nez repoussé descend dans son palais,
et sa figure n'a plus rien qu'on puisse reconnaître.
Pelatès, qui naquit à Pella, arrache le support
d'une table, en frappe encore Céladon, le terrasse, et
plonge son menton dans son sein. Le Lapithe vomit ses dents
mêlées dans des flots d'un sang noir, et, par une
double blessure, descend dans les Enfers.
"Grynée, placé près de
l'autel où l'encens fume encore, et tournant sur lui des
regards furieux : "Pourquoi, s'écrie-t-il,
craindrais-je d'employer ces armes !" Et soudain il
soulève dans ses bras l'autel où brûlent
les feux sacrés, et le lance au milieu des Lapithes.
Cette énorme masse tombe, écrase Brotéas
et Orios, fils de la nymphe Mycalé, dont les charmes
puissants forçaient, disait-on, la lune à
descendre du ciel. "Qu'une arme s'offre à mes regards,
crie Exadius, et ton crime aura son châtiment". Il dit,
et des branches d'un pin, il arrache un bois de cerf
voué à Diane. Il enfonce ce double dard dans les
yeux du Centaure. L'un de ces yeux s'attache au trait qui l'a
percé; l'autre roule sur le visage, et le sang
figé le retient dans la barbe.
"Rhoetus enlève de l'autel le tison
sacré, qui brûle encore, atteint Charaxus, et
brise sa tempe droite, que protège en vain sa blonde
chevelure. Sa chevelure s'enflamme, pareille aux chaumes
embrasés. Le sang qui sort de sa blessure,
pénétré par les feux dévorants,
bouillonne avec un bruit terrible, tel que le fer
étincelant, saisi dans les brasiers d'une forge, avec
des tenailles recourbées, plongé dans l'eau,
siffle et fait autour de lui frémir l'onde fumante.
Cependant Charaxus éteint la flamme avide qui
dévore ses cheveux épais; il élève
de la terre, il charge sur ses épaules le seuil d'une
porte qui eût fait gémir l'essieu d'un char sous
son poids. Mais cette masse l'accable; il ne peut la lancer sur
son ennemi; elle retombe et écrase
Cométès, son compagnon, placé trop
près de lui.
"Rhoetus fait éclater sa joie : "Puissent les
tiens, dit-il, contre nous déployer la même force,
et se signaler par de mêmes exploits" ! À ces
mots, il lui fait avec le tison fumant une seconde blessure. Il
le frappe, il le refrappe encore, et fracasse son crâne,
dont les débris se fixent dans son cerveau.
"Vainqueur, il attaque Evagrus, et Corythus,
et Dryas. Corythus, dont un léger duvet ombrage à
peine le menton, expire le premier sous ses coups. "Quelle
gloire te revient de la mort d'un enfant" ? s'écrie
Evagrus. Il achevait ces mots, Rhoetus enfonce le tison
brûlant dans sa bouche, et la flamme l'étouffe et
consume son sein. Il te poursuit aussi, impétueux Dryas,
et fait devant toi tournoyer ses homicides feux. Mais trop fier
de ses premiers succès, son orgueil l'abuse. Tu le
perces de ton épieu à l'endroit où la
tête se joint à l'épaule. Il gémit,
il arrache avec effort le bois de sa blessure, et fuit laissant
sa trace teinte de son sang.
"On voit fuir en même temps Ornéus et Lycabas,
et Médon blessé à l'épaule droite,
et Pisénor et Thaumas, et Merméros,
naguère vainqueur à la course de tous ses
compagnons, mais qui, blessé dans le combat,
s'éloigne d'un pas lent et tardif. Avec eux fuyaient
aussi Pholus, Mélaneus, Abas, chasseur redoutable aux
sangliers, et le devin Astylos, qui vainement avait voulu
détourner les Centaures de ce combat, dont d'avance il
connaissait l'issue. Nessus, effrayé, s'éloignait
des dangers : "Arrête, et ne fuis point, lui dit
Astylos; le Destin te réserve pour les flèches
d'Alcide !"
"Mais Eurynomus, Lycidas, Aréos,
Imbreus n'évitent point la mort. Ils osent attendre
Dryas, et tombent sous ses coups. Et toi,
Crénéus, tu fuyais, il t'atteint; tu veux
regarder en arrière, et le fer pénètre
dans ton front, entre les yeux, et les couvre des ombres du
trépas.
Au milieu de ce tumulte affreux, plongé par le vin
dans un sommeil léthargique, Aphidas est étendu
sur la peau d'un ours que l'Ossa vit croître dans ses
forêts; il tient d'une main tremblante une coupe à
demi répandue. Phorbas le voit agiter cette arme
inutile, et secouant son javelot : "Va, dit-il, aux ondes
du Styx mêler le vin que tu as bu". Il parle et lance son
javelot. Le fer dont il est armé atteint à la
gorge Aphidas sur le dos renversé. Il ne sent point le
coup mortel qui le frappe. Son sang coule à grands flots
sur sa couche, et rejaillit dans la coupe qu'il tient.
Je vis Pétréus s'efforcer
d'arracher de terre un chêne chargé de tous ses
glands. Tandis qu'il l'embrasse, le secoue, et
l'ébranle, la lance de Pirithoüs l'atteint dans les
flancs, le perce d'outre en outre, et le cloue à l'arbre
qu'il voulait arracher. On dit aussi que Pirithoüs
triompha de Lycus, que Chromis tomba sous ses coups. Mais leur
trépas lui valut moins de gloire que la défaite
de Dictys et d'Hélops. Hélops est atteint
à la tempe droite d'un javelot qui pénètre
à travers ses oreilles. Dictys fuyait tremblant devant
le fils d'Ixion qui le presse. Du haut d'un roc escarpé
il tombe, se précipite, brise du poids de son corps le
tronc d'un orme, et laisse ses entrailles éparses sur
ses vastes débris.
Apharée accourt
pour le venger. Il détache du rocher une masse
énorme, et veut, avec effort, la lancer contre le
héros. Thésée le prévient, fracasse
avec sa massue les os gigantesques de son bras, et n'a pas le
temps, ou, le voyant hors de combat, dédaigne de lui
donner la mort. Le héros saute sur la croupe du puissant
Bienor, centaure qui jusque-là n'avait porté que
lui-même. D'un genou nerveux, il presse ses flancs; de sa
main gauche il saisit sa chevelure flottante; il le frappe
à la tête des nœuds de sa massue et brise son
front menaçant. Avec cette arme terrible, il abat encore
Nédymnus, et Lycopès adroit à lancer un
javelot, et Hippasos dont la barbe épaisse descend sur
son sein, et Riphée qui surpasse en hauteur les arbres
des forêts, et Térée qui aimait à
prendre des ours sur les monts de Thessalie, qui les chargeait
sur ses épaules, et les portait vivants et grondants
dans l'antre qu'il habitait.
Démoléon, que ces exploits indignent,
prétend en arrêter le cours. Il réunit tous
ses efforts pour déraciner un pin altier qu'un
siècle affermissait sur sa base. Ne pouvant l'arracher,
il le rompt et le lance à la tête du héros.
Cette masse l'eût écrasé, mais il se
détourne et l'évite, inspiré par
Pallas : c'est du moins ce qu'il voulait faire croire
lui-même. Cependant le coup ne fut pas vain. Il atteint
le superbe Crantor, et rompt son sein, son épaule, et
ses flancs.
Achille, ce Crantor fut l'écuyer de
votre illustre père. Le roi des Dolopes, Amyntor, vaincu
par Pélée, le lui donna pour gage de la paix et
de la foi jurée. Pélée le voit
étendu et déchiré d'une triple blessure.
"Cher Crantor, s'écrie-t-il, reçois la victime
que je vais immoler à tes mânes sanglants". Il
dit, et d'un bras nerveux que la vengeance anime, il lance
à Démoléon un javelot qui s'enfonce dans
ses os et frémit dans ses flancs. Le bois est
arraché avec effort par le Centaure, mais le fer reste
engagé dans son sein. La douleur accroît sa rage.
Malgré sa blessure, il se cabre contre son ennemi,
l'attaque, et le frappe de la corne de ses pieds. Sous ses
coups redoublés le casque et le bouclier retentissent.
Le héros se défend; il se couvre de son bouclier.
Il soutient les assauts du monstre, et du même dard perce
le double sein de l'homme et du cheval.
"Déjà Pélée avait vaincu
Phlégréos et Hylès. Iphinoüs et
Clanis étaient tombés sous ses coups. Dorylas,
qui, d'une peau de loup couvrant sa tête horrible, avait
armé ses mains de deux cornes de bœuf, double dard
abreuvé du sang des Lapithes, expira aussi sous les
traits du héros : "Vois, disais-je au Centaure,
combien tes armes sont moins sûres que le fer" ! et
je lui lance mon javelot. Ne pouvant l'éviter, il veut
couvrir son front, et sa main à son front est
clouée. On s'écrie. Placé plus près
que moi du monstre, Pélée, qui le voit à
lui-même attaché, déjà vaincu par sa
blessure, plonge son glaive dans ses flancs. Le Centaure se
cabre; lui-même arrache ses entrailles, les traîne
à terre, les foule sous ses pieds, dans leurs nœuds
engage ses jarrets, et tombe et roule expirant sur
l'arène.
"Ta beauté, si toutefois ta forme peut
mériter ce nom, ne te sauve point, jeune Cyllare, au
milieu de ce tumulte affreux. Un blond duvet commence à
briller sur ton menton. L'or de tes blonds cheveux sur ton cou
se déroule flottant. La fraîcheur de ton teint
montre un heureux mélange et de force et de grâce.
Ta tête, tes bras, tes mains, ton buste entier, semblent
être l'ouvrage d'un habile artiste. Tout ce qui est homme
en toi est parfait; tout ce qui tient du coursier n'est pas
moins admirable. Si l'on te donne la tête et le cou du
cheval, tu égaleras en beauté le coursier de
Castor. Ta croupe est élégante, ton poitrail
noble et relevé; ton poil a le noir luisant du jais; ta
queue et tes jambes sont d'une blancheur éclatante,
"Parmi les filles des Centaures, mille avaient voulu lui
plaire. Mais la seule Hylonomé obtint de lui un tendre
retour. De toutes ses compagnes, hôtesses des
forêts, elle est la plus aimable. Son amour, ses
serments, ses caresses, ont subjugué Cyllare. Elle est
aussi belle que lui. L'ivoire lisse ses cheveux légers;
elle y place le romarin, ou la violette, ou les roses;
quelquefois des lis blancs les couronnent. Chaque jour, dans
l'onde pure d'une fontaine qui rafraîchit les bois de
Pagasa, deux fois elle plonge sa tête, deux fois elle
baigne son corps. Une riche fourrure s'attache avec grâce
sur son épaule, ou descend à gauche sur son sein.
Une tendresse égale unit les deux amants; ils errent
côte à côte sur les montagnes; la nuit, le
même antre les réunit. Ils étaient venus
ensemble au festin des Lapithes, et côte à
côte ils combattaient tous deux.
Un trait part à leur gauche; on ignore
qui l'a lancé. Il s'y enfonce au-dessous du sein de
Cyllare; il effleure son coeur : à peine est-il
retiré, son cœur et son corps sont glacés
par le froid du trépas.
Hylonomé le reçoit mourant
dans ses bras. Elle étend sa main sur sa blessure et
cherche à la fermer; elle joint sa bouche à sa
bouche, et veut retenir son âme fugitive. Il
expire : soudain elle remplit l'air de ses plaintes
douloureuses, que les cris des combattants empêchent
d'arriver jusqu'à moi. Elle incline son sein sur le fer
qui vient de percer Cyllare, et tombe et meurt en embrassant
son époux.
"Je crois voir encore devant mes yeux l'effroyable
Phacocomès, qui, de la dépouille de six lions,
couvre en lui les flancs de l'homme et du cheval. Il lance un
arbre que quatre bœufs attelés sous le joug
auraient peine à mouvoir. Il atteint à la
tête Thectaphos, fils d'Olénos. Sa tête est
fracassée. Sa cervelle s'échappe par ses yeux,
par son nez, par ses oreilles. Tel entre des joncs passe et
sort un laitage pressé. Telle à travers les trous
d'un crible, coule et s'exprime une épaisse liqueur.
"Tandis que le Centaure s'apprête
à dépouiller de ses armes son ennemi, j'accours.
Pélée en fut témoin, et je plonge mon
épée dans ses flancs. Chthonius et
Télébous expirent aussi sous mes coups. Chthonius
était armé d'un bois fourchu;
Télébous portait un javelot dont il me blessa.
Voyez : la cicatrice antique paraît encore. C'est
alors qu'on eût dû m'envoyer au siège de
Pergame. Alors j'aurais pu retarder les triomphes du grand
Hector, et le vaincre peut-être. Mais, en ce temps,
Hector n'était point encore ou n'était qu'un
enfant; et maintenant la vieillesse ennemie trahit mon
courage.
"Vous parlerai-je de Périphas, vainqueur de Pyraethus
à double forme ? Dirai-je Ampyx, qui, d'une lance
sans fer, perce l'affreux visage de Echélus
dressé sur ses quatre; et Macarée du
Péléthronium, qui, brandissant un levier pesant,
frappe et renverse le lapithe Erigdupus ? Je me souviens que
Nestor enfonça son javelot dans les flancs de
Cymélus. Ne croyez pas que le fils d'Ampyx, Mopsus, ne
se montre habile qu'à prédire l'avenir. Le
centaure Hoditès, atteint par ses flèches
rapides, veut en vain s'écrier : un dard attache sa
langue à son menton, et son menton à sa
poitrine.
Ovide - Les Métamorphoses (XII, 210-458). Traduction de G.T. Villenave (1806) via remacle
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