L'Empire des Roses au Louvre-Lens - Un autre orientalisme
Acrobate au paon. Iran, vers 1820-1830 (?). Huile sur toile
Bellinzona, Archives cantonales du Tessin © Archivio di Stato del Cantone Ticino, Bellinzona (Suisse) |
C'est un autre orientalisme que présente le Louvre-Lens dans cette rétrospective consacrée à l’art de la dynastie des Qajar.
Ces souverains régnèrent sur l’Iran de 1786 à 1925. Cette période
est l’une des plus fascinantes de l’histoire du pays, qui s’ouvre alors à la
Modernité tout en cherchant à préserver son identité.
Originale et surprenante, la création artistique de cette époque est
particulièrement riche et foisonnante, stimulée par les commandes de la cour.
C’est ce que l’exposition met en lumière, à travers plus de 400 œuvres. Elle rassemble peintures, dessins, bijoux, émaux, tapis, costumes, photographies ou encore armes d’apparat, dans une scénographie immersive et colorée imaginée par Christian Lacroix.
C’est ce que l’exposition met en lumière, à travers plus de 400 œuvres. Elle rassemble peintures, dessins, bijoux, émaux, tapis, costumes, photographies ou encore armes d’apparat, dans une scénographie immersive et colorée imaginée par Christian Lacroix.
L'Empire des Roses : Chefs d'oeuvres de l'art persan du XIXème siècle.
Louvre-Lens, jusqu'au 23 juillet 2018
Commissaires de l'exposition : Gwenaëlle Fellinger et Anna Chidiac. Scénographie de Christian Lacroix
L’Iran qajar : une histoire aussi riche que méconnue
Si les historiens se sont intéressés aux civilisations anciennes qui ont fleuri sur ce
territoire grand comme trois fois la France, bien peu parmi eux se sont penchés
sur les 18e et 19e siècles, dont l’étude par les spécialistes de l’art islamique est
encore récente, encouragée par la redécouverte de la peinture qajare, dévoilée en
1998 au public anglo-saxon, lors d’une grande exposition. Il s’agit pourtant d’une
période charnière, aujourd’hui considérée comme une référence majeure
pour les artistes iraniens contemporains.
En 1786, Aqa Muhammad, un général d’armée, eunuque et chef de tribu, parvient
à s’emparer du pouvoir et à se proclamer Shah, c’est-à-dire souverain d’Iran. Dès
1783, il s’installe dans une petite bourgade dont il fait sa capitale : Téhéran.
Après son assassinat en 1797, son neveu Fath Ali Shah monte sur le trône. La
dynastie des Qajar se met alors en place et, avec elle, s’ouvre un 19e siècle
mouvementé, sur le plan tant politique qu’artistique. Six souverains se succèdent
jusqu’à Ahmad Shah, destitué en 1925 par Reza Khan, qui fondera la dynastie
Pahlavi.
Durant cette période exceptionnelle, le développement artistique d’une
production destinée à la cour met à l’honneur les techniques traditionnelles,
comme la peinture, la verrerie ou l’art du métal, et les porte à un haut degré
d’excellence. Les souverains qajars eux-mêmes pratiquent dessin et calligraphie
en experts. Parallèlement, de nouvelles techniques font leur apparition,
dont la photographie, qui joue un rôle fondamental dès son introduction dans les
années 1840. Si les grandes thématiques iconographiques demeurent, les styles
changent considérablement, et marquent encore en profondeur l’art iranien.
Portrait de Fath Ali Shah. Iran, Téhéran, vers 1850
Toile de coton, décor appliqué de drap de laine Berne, Musée d'histoire © Bernisches Historisches Museum |
Joueur de setar. Iran, vers 1830-1840. Huile sur toile Paris, Bibliothèque universitaire des langues et civilisations orientales © INALCO / Philippe Fuzeau |
Jules Laurens. Les Ruines du palais d’Ashraf France, après 1848. Huile sur toile Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine © Bibliothèque-musée Inguimbertine |
Ordre du Lion et du Soleil. Iran, vers 1840
Or et pierres précieuses, décor d’émail peint et champlevé Toronto, Aga Khan Museum © Aga Khan Museum |
Danseuse au tambourin
Iran, vers 1820 (?). Huile sur toile Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine © Inp / Ghyslain Vanneste |
Reliure à décor de rose et de rossignol
Iran, vers 1780-1820. Papier mâché peint sous vernis Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / Hughes Dubois |
Etui à miroir orné du portrait de ‘Ali, Hasan et Husayn
Iran, 1871 (1288 h.) Papier-mâché, décor peint, doré et verni (laque) Berne, Musée d'histoire © Bernisches Historisches Museum |
Abu Turab Ghaffari. Portrait de religieux Iran, Téhéran, 1880-1885. Couleurs sur papier Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / Raphaël Chipault |
Attribué à Mihr Ali. Portrait de Fath Ali Shah (1797-1834) Iran, Téhéran, vers 1800-1806. Huile sur toile Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski |
Tête de qalyan. Signé Ibrahim. Iran, vers 1850
Or, décor d’émail peint et champlevé ; manche : bois tourné Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau |
Félin. Iran, Ispahan (?), 2e moitié du 19e siècle
Acier damassé, décor damasquiné d’or. Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / Hervé Lewandowski |
Présentation de l'exposition par Gwenaëlle Fellinger (Conservateur du Patrimoine, Département des Arts de l'Islam, Musée du Louvre)
L’art qajar reflète une époque fascinante, marquée par de grandes évolutions
et d’importantes ouvertures, qui entraînent autant de changements que
d’échanges. C’est peut-être en raison de ces bouleversements, complexes et
déroutants, et de leur proximité chronologique, que les productions artistiques du
19e siècle iranien n’attirèrent, durant longtemps, guère l’attention des chercheurs.
Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que la première grande exposition consacrée
à la peinture de la période se tint aux États-Unis et en Angleterre. À la suite de
celle-ci, les études sur la peinture se sont multipliées, celles sur la photographie
- nouveau média introduit en Iran dès son invention - également. En revanche,
bien d’autres formes d’art restent encore dans l’ombre, qu’il s’agisse du travail des
métaux, des céramiques ou des textiles. Depuis une dizaine d’années, cependant,
dans le domaine scientifique comme sur le marché de l’art, un regain d’intérêt a
semblé émerger et touche divers domaines. Il répond à l’intérêt que manifestent
les Iraniens pour cette période de leur histoire, considérée comme charnière et
fondatrice de l’Iran moderne.
En parallèle, en Europe comme aux États-Unis, les redécouvertes de collections,
les interrogations sur la définition de l’art islamique et la place de ce dernier dans
les musées, en lien avec les grands projets de réinstallation, ont vraisemblablement
poussé à s’interroger sur les périodes de transition, comme le 19e siècle. Les
nombreux chantiers des collections qui se sont tenus durant la même période
ont mis au jour des collections oubliées, souvent reléguées au fond des réserves.
C’est le cas en France, où chaque musée, quelle que soit sa taille, conserve au
moins quelques œuvres qajares : armes, céramique ou encore objets laqués.
Rapportés par des voyageurs, au titre de curiosités ou faisant partie de collections
constituées comme modèles décoratifs, ces objets furent généralement collectés
dans la seconde moitié du 19e siècle, soit presque simultanément à leur création.
L’ignorance relative dans laquelle ils furent tenus par la suite nous ouvre aujourd’hui
un vaste champ de recherche, qui se traduit, depuis peu, par la multiplication des
expositions consacrées à l’une ou l’autre technique, comme les laques. Il manquait
cependant une synthèse.
Pour cela, il fallait entrer dans la culture si riche d’un pays, dont un pan restait
méconnu. Nous avons choisi de partir sur les pas de voyageurs européens
du 19e siècle, qui, de mission scientifique en mission diplomatique, croquèrent un
pays, dévoilant aux yeux d’un public émerveillé et sensible aux clichés orientalistes,
les monuments anciens ou modernes d’un Iran fantasmé. De cette image à la fois
réelle et imaginaire, nous parlent les dessins extrêmement précis de l’architecte
Pascal Coste, qui répondent aux peintures de son ami Eugène Flandin, comme
ceux, plus pittoresques, de Jules Laurens. Ces trois artistes, qui voyagèrent
respectivement en 1840 et en 1846-48, furent parmi les premiers à faire connaître
l’histoire et la culture iraniennes.
Mais au-delà de ce regard européen que portent Pascal Coste, Eugène Flandin ou
Jules Laurens sur cette contrée étrangère, il était aussi nécessaire d’offrir au visiteur
quelques éléments de contexte. Toute œuvre d’art est produite à une période
donnée et l’en sortir mène souvent au contre-sens. L’art qajar le nécessite
d’autant plus qu’il peut paraître déroutant : les codes esthétiques, les
références induites, les sujets-mêmes, ne nous sont pas tous familiers.
Outre la présentation d’un contexte historique, dont la connaissance est un
préalable à la compréhension d’un art marqué par la politique de son temps, le
19e siècle iranien apparaît surtout comme marqué, sur le plan artistique, par des
tendances semblables à celles qui traversent l’Europe. L’historicisme, l’éclectisme,
l’affirmation des tendances religieuses ou encore l’émergence d’individualités
artistiques en sont des traits caractéristiques.
Car cet art est avant tout politique. La création est mise au service de
l’image du souverain. Cette mise en scène, initiée par Fath Ali Shah (r. 1798-
1834), est organisée, codifiée, dans un but simple : affermir une dynastie au
pouvoir fréquemment contesté, en proie à de grandes difficultés intérieures – en
particulier financières. Mais c’est aussi le siècle de la création des écoles, depuis
l’école polytechnique, ou Dar al-Funun, fondée en 1850, jusqu’à l’Académie des
Beaux-Arts en 1911, à Téhéran. C’est celui de l’avènement de la photographie
et de l’adoption de la lithographie, dont l’assimilation fut immédiate, de même
que l’influence sur la production artistique dans son ensemble. En ce sens, il
est un siècle d’aboutissements, le point d’orgue d’une évolution longue. Par les
thématiques iconographiques, par l’importance des artistes, au statut connu et
reconnu, par l’abondance des sources visuelles.
(Source des textes et des illustrations : Service de Presse du Louvre-Lens)
(Source des textes et des illustrations : Service de Presse du Louvre-Lens)
L'Empire des Roses : Chefs d'oeuvres de l'art persan du XIXème siècle.
Louvre-Lens, jusqu'au 23 juillet 2018
Commissaires de l'exposition : Gwenaëlle Fellinger et Anna Chidiac. Scénographie de Christian Lacroix
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